vendredi 19 mars 2010

Les enjeux de l'eau par Gérard Payen

Un expert de l’eau Gérard Payen, conseiller pour l'eau du secrétaire général de l'ONU et président d'Aquafed, a répondu aux internautes lors d’un tchat Green Business de La Tribune sur les principaux enjeux de l’eau.

Bonjour et bienvenue sur le "tchat". Aujourd'hui nous avons le plaisir d'accueillir Gérard Payen, Conseiller pour l'eau du Secrétaire général de l'ONU et président d'Aquafed, qui répondra à toutes vos questions.
Bonjour, je suis très content de pouvoir discuter des nombreux enjeux liés à la gestion de l'eau avec les internautes de La Tribune.

Eric : Toutes les ressources rares ont un prix de marché (pétrole, ...). L'air a également un prix, via la tonne de CO2, fixé sur un marché. Chacun réfléchit désormais à donner un prix à la biodiversité. Faut-il alors, demain, donner un prix à l'eau, fixé sur un marché international, comme n'importe quel matière première, pour éviter les gaspillages ?
L'eau est disponible en quantité à peu près fixe chaque année en un endroit donné. L'agriculture, l'industrie, les populations en sont les principaux utilisateurs. Ce qui est important, c'est de répartir la ressource de façon équitable entre ces différents usages. C'est typiquement le rôle des autorités politiques. Elles peuvent utiliser des incitations économiques dans certains secteurs mais la gestion d'ensemble relève du politique et ne peut pas être traitée par le marché.

Histoire : Est-il exact que depuis la création de la terre, la quantité d'eau n'a pas bougé (l'univers ne nous envoie pas et la terre n'en envoie pas vers l'espace). Dans ce cas, le problème est-il celui de la démographie - bientôt, il n'y aura plus assez d'eau pour tout le monde - ou de sa mauvais utilisation (manque de dépollution...) ?
Je crois effectivement que la quantité de molécules H2O sur la Terre est stable. Vous avez tout à fait raison de mentionner l'impact de la croissance démographique. Ceci étant, la Terre contient énormément d'eau dans les océans. Seule une petite partie est transformée en eau douce et seule une petite partie de cette eau douce est utilisée par l'homme. Il est donc possible de mobiliser davantage les quantités d'eau disponibles, par exemple en construisant des barrages qui permettent de stocker l'eau de la saison humide pour l'utiliser en saison sèche. Autre exemple, les eaux usées sont une ressource très importante à même d'être réutilisée de nombreuses fois. La croissance démographique génère une croissance des consommations mais les populations, les villes en général, n'utilisent que 10 à 15 % de l'eau douce utilisée par l'homme. L'essentiel, 70 %, est utilisé par l'agriculture en irrigation. Par conséquent, dans les endroits où l'eau devient rare, c'est l'agriculture qui est en première ligne.

Germain : Ne va-t-on pas se trouver de plus en plus confrontés à des conflits d'usage de l'eau, y compris concernant l'énergie ?
Tout à fait. L'eau douce est en quantité renouvelée chaque année mais les usages agricoles, industriels et citadins augmentent partout dans le monde. De ce fait, les tensions sur la ressource en eau augmentent ; on parle de croissance des pénuries hydriques et cela occasionne des concurrences entre les différents utilisateurs. L'énergie est un très gros consommateur. Près de 60 % de l'eau douce pompée en France sert à la production d'énergie électrique. Mais cette eau est réutilisable en aval et en pratique largement réutilisée.

Almir : L'eau va-t-elle devenir un bien aussi précieux que le pétrole ?
L'eau est essentielle à la vie. Nous avons tous besoin d'eau chaque jour. Elle a donc une grande valeur pour chacun d'entre nous.
Par contre, il n'y a aucune similitude entre l'eau et le pétrole. Le pétrole existe en quantité limitée, épuisable. L'eau douce est renouvelée chaque année. Par ailleurs, l'eau douce est réutilisable après usage, ce qui se fait de plus en plus dans le monde. Le pétrole a une valeur économique élevée, ce qui permet de le transporter sur de longues distances et il y a un marché du pétrole. L'eau a une valeur économique faible. C'est d'ailleurs probablement le produit le moins cher à la tonne, ce qui fait qu'il est économiquement très coûteux de le transporter. L'eau est un produit local réutilisable qui ne se vend pas sur un marché.

Janice : Pourquoi ne parle-t-on pas plus de cette question dans les médias et les instances internationales ?
L'existence de ce tchat montre qu'on en parle un peu dans les medias, mais sans doute pas en traitant tous les enjeux de l'eau en fonction de leur importance respective. Par exemple, en France, on parle beaucoup des questions de ressource en eau, alors que la France est un pays qui n'en manque pas. A l'inverse, on parle très peu de la problématique de l'accès à l'eau potable qui concerne des milliards d'individus et qui est un sujet bien différent. Au niveau international, le progrès est notable. Il y a maintenant régulièrement des conférences interministérielles sur l'eau et même les chefs d'Etats commencent à discuter des problèmes liés à l'eau. Il y a 2 ans, tous les chefs d'Etats asiatiques se sont réunis au Japon puis pour la première fois l'ensemble des chefs d'Etats africains a travaillé sur la question de l'eau et adopté une déclaration politique au niveau de l'Union africaine. En avril prochain, de nombreux gouvernements se réunissent à Washington pour discuter des modalités de l'aide internationale en matière d'eau. Sur le fond, la nouveauté c'est que les Etats au niveau des Nations Unies ne se préoccupent plus uniquement de ressource en eau et d'accès à l'eau mais commencent à vouloir travailler ensemble sur la gestion des eaux usées. Ils ont fait une déclaration en ce sens à Istanbul en mars de l'année dernière.

Alo : Y a t-il déjà eu des guerres de l'eau ? Si oui lesquelles et où ?
L'histoire ne fournit pas d'exemple de guerres pour l'eau, même si les conflits liés à l'eau ont été nombreux. Pour l'avenir, ce qui me paraît important c'est comme on l'a vu tout à l'heure la croissance des tensions liées à l'augmentation des consommations de l'eau. Ces tensions créent des conflits locaux nombreux qui peuvent dans certains cas atteindre l'ensemble d'un bassin géographique, c'est-à-dire l'ensemble des utilisateurs de la même ressource en eau. Il y aura probablement dans l'avenir de nombreux conflits locaux. il est peu probable qu'ils dépassent les frontières.

Valdec : Quelle est la position de l'ONU sur cette question ?
Les Nations Unies travaillent avec leurs membres, les Etats, sur tous les enjeux liés à l'eau. En matière de gestion des ressources partagées entre plusieurs Etats, ce qu'on appelle aussi les eaux transfrontalières, une convention internationale a été discutée et adoptée depuis de nombreuses années. L'enjeu est sa ratification par un nombre suffisant d'états pour qu'elle entre en vigueur. La France souhaite la ratifier, le processus est en cours au niveau du Parlement.

Saxon : Comment réguler ce marché de l'eau ?
Comme dit précédemment, l'eau est un bien utilisé, réutilisé, qui sauf exception, ne se vend pas sur un marché. Il y a des marchés liés à l'eau. Par exemple, les eaux minérales ou encore celui des pompes hydrauliques ou des services de distribution d'eau potable. Mais l'eau elle-même, est un bien commun qui ne se vend pas sur un marché.

Moïse : Pourquoi dépense-t-on autant pour rendre l'eau qui coule au robinet à la fois potable et d'un goût agréable alors qu'on en boit très peu ? Ne pourrait-on pas faire des économies en distinguant eau de boisson et de cuisine et eau destinées à des usages non alimentaire ?
Le service public de l'eau consiste à satisfaire les différents besoins par le moyen d'une organisation optimisée permettant de bénéficier d'effets d'échelle pour un coût collectif minimal. Les usages domestiques sont nombreux: boisson, lessive, hygiène, cuisine, arrosage, etc. Avoir un système de distribution pour chaque usage serait très coûteux. La réponse la plus courante dans les pays comme la France est d'avoir des réseaux qui distribuent de l'eau pour tous les besoins de la population et pour les activités économiques peu exigeantes et d'avoir des installations spécialisées pour les fabrications industrielles qui ont des besoins particuliers (eau ultra pure pour la fabrication de microprocesseurs). Avoir deux réseaux de distribution en ville serait très coûteux car dans le coût de l'eau les infrastructures ont une place plus importante que le coût de purification. A Paris, il y a deux réseaux. L'un distribue l'eau de la Seine après filtration pour des usages non domestiques. Son intérêt économique est en débat, les budgets nécessaires à son entretien sont difficiles à mobiliser.

Louis-Armand : Trouvez-vous logique de payer deux fois le recyclage de l'eau : station d'épuration et usine de traitement de l'eau potable. Ne pourrait-on pas imaginer des sites qui traitent les eaux usées et les réintègrent directement dans le circuit d'eau potable ?
Cela existe, ou presque. A Singapour, des usines dépolluent les eaux usées avec de nombreux étages de traitement de ces eaux. L'eau purifiée est envoyée d'une part à des utilisateurs industriels et d'autre part au réseau d'eau potable. C'est techniquement possible et c'est certainement quelque chose qui va se développer, même si la réutilisation des eaux usées, pour des raisons économiques, cible en priorité l'irrigation agricole, comme cela se fait dans une grande partie du Moyen Orient. Ceci étant, on ne paye pas une fois ou deux fois. Le coût du traitement de l'eau correspond à celui de la succession de plusieurs étages de traitement. Il en faut plusieurs pour enlever la pollution des eaux usées de façon à rejeter une eau acceptable par les écosystèmes. Il en faut d'autres pour passer de cette eau à une eau désinfectée propre à la consommation humaine. Les coûts de traitement s'ajoutent donc. Le progrès est dans l'innovation technologique qui permet de réduire les coûts unitaires.

Colbat : Pensez-vous que l'eau sera la prochaine source de tensions géopolitiques après l'énergie? Redoutez-vous de futures guerres de l'eau ? Est-il possible de mettre en place une juridiction internationale pour empêcher l'exploitation abusive des fleuves en amont qui pourrait nuire à des pays voisins situés en aval ? Autrement dit, peut-on envisager une juridiction proche de celle des détroits pour les fleuves ?
L'eau douce étant par nature une ressource locale partagée au niveau du bassin géographique, c'est d'abord entre les pays qui partagent une même ressource qu'il faut trouver des voies de coopération et de partage équitable. En France, nous avons une expérience très réussie de gestion des ressources en eau par bassin hydrographique. Au niveau international, c'est une voie de progrès manifeste. De plus en plus d'organisations interétatiques existent pour gérer les ressources communes. Je pourrais citer par exemple des organisations des pays riverains du Niger, du Sénégal, du Nil, du Mékong etc. Pour le Niger par exemple, le dialogue qu'a permis la création de l'organisation de coopération a été perçue comme bénéfique aussi bien aux pays amont qu'aux pays aval.

Sandrine : Doit-on plus compter sur la réutilisation des eaux usées ou le dessalement de l'eau e mer ? A-t-on espoir de faire baisser la consommation d'énergie de ces solutions (notamment la désalinisation) ?
Réutilisation des eaux usées, dessalement d'eau de mer sont deux ressources en eau importantes. Leur coût respectif et leur intérêt dépendent des situations locales. De façon générale, la réutilisation des eaux usées est moins chère mais elle nécessite de pouvoir contrôler la qualité des eaux usées pour éviter des toxiques gênants. Le dessalement d'eau de mer est en forte croissance dans le monde mais bien sûr à proximité des côtes. Dessaler l'eau de mer a un coût qui baisse régulièrement grâce au progrès technologique mais ce coût serait plus que doublé s'il fallait pomper l'eau dessalée dans des territoires situés loin du niveau de la mer. Les deux cas montrent qu'il n'y a pas de fatalité avec les ressources en eau. Les tensions liées à la croissance des consommations peuvent être résolues dans le cadre de politiques de gestion de l'eau.

Ernesto : Comment le secteur privé pour aider à atteindre les Objectifs du Millénaire et le manque d'eau dans les pays sous-développés ?
Les entreprises privées agissent sur demande et suivant les instructions des autorités publiques. Elles participent au développement de l'accès à l'eau potable dans de nombreux pays en développement. Ces entreprises sont de toutes tailles, locales ou étrangères. Bien qu'elles n'alimentent en eau qu'environ 3 à 4 % de la population des pays en développement, elles y contribuent de façon significative aux objectifs du Millénaire. Ainsi, en moins de 10 ans ont-elles apporté l'eau potable à 25 millions de personnes, majoritairement pauvres, dans des villes où la population qui bénéficiait auparavant du service public était de 50 millions de personnes. Un tel développement de 50 % est spectaculaire. Développer l'accès à l'eau potable pour tous est un enjeu qui concerne environ 4 milliards de personnes. Personnellement, je crois que c'est possible et que cela vaut la peine d'associer tous ceux et celles qui peuvent y contribuer dans des projets ambitieux.

Merci Gérard Payen. Le mot de la fin ?
Merci pour ces questions. Il y a 4 enjeux principaux pour l'eau dans le monde : les tensions croissantes sur les ressources en eau, l'accès universel à l'eau potable et à l'assainissement, la gestion des eaux usées et les catastrophes liées à l'eau. Chacun perçoit cela avec des sensibilités différentes. Il est important que l'opinion publique et les politiques publiques prennent en considération ces 4 sujets de façon équilibrée.
Source : latribune.fr

3 commentaires:

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