jeudi 23 juillet 2009

Les nouveaux défis de l'eau, « Pour une culture de la responsabilité », Antoine Frérot


La publication d’ouvrages sur l’eau et ses problématiques a été particulièrement importante cette année. Ainsi je ne suis arrivée à la lecture du livre intitulé « Pour une culture de la responsabilité » que cet été. Son auteur, Antoine Frérot, ancien élève de l'École Polytechnique et Docteur de l'École Nationale des Ponts et Chaussées, est actuellement directeur général de Veolia Eau. Ma tentative d’avoir une connaissance exhaustive de tous les ouvrages qui paraissent sur le sujet me permet de souligner que ce livre s’illustre par son approche concrète et réaliste, me semble t-il des grands enjeux liés à l’eau.

En effet, cet ouvrage fait le point sur les grands enjeux actuels de l’eau dans le monde dans l’objectif « de démontrer qu’il est possible d’avoir, face à la question de l‘eau, une réflexion qui privilégie l’action tout en allant dans le sens de l’intérêt général ». De plus, ’auteur partage l’opinion de son préfacier, Ángel Gurría, secrétaire général de l’OCDE et membre du conseil consultatif pour l’eau et l’assainissement auprès du secrétariat de l’ONU, selon lequel « l’irresponsabilité des hommes a fait de l’eau un des principaux problèmes pour les hommes de ce siècle ».

En visant à « dépassionner » les débats et les amener sur le terrain de l’objectivité, il trace de nouvelles perspectives sur les questions de ressources, de modèles financiers, de solidarité et de gouvernance. Les propositions, enrichies d’exemples concrets, s’appuient sur une double conviction : les réponses ne peuvent pas être globaalisantes ni idéologiques, et les progrès ne verront pas le jour sans logique de coopération et de dialogue entre les acteurs.


La
première partie détaille le problème de l’eau dans le monde contemporain. Selon l’auteur, afin de ne pas « polluer » le débat autour des solutions, ce problème doit être pris de façon à la fois sérieuse et calme, c’est-à-dire en évitant à la fois l’indifférence et le catastrophisme.

Quelques idées fortes de cette partie, essentiellement pédagogique :

  • Il ne faut pas se tromper de responsable. C’est bien la croissance démographique qui génère le problème de l’eau et non pas une évolution naturelle, car la quantité d’eau sur notre planète, comme on le sait bien, reste stable. Nous sommes responsables du problème de l’eau. « A Jakarta, les systèmes d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées ont été conçus à l’origine pour une population de 500 000 personnes. Aujourd’hui, la capitale indonésienne dépasse les 15 millions d’habitants et subit une pénurie d’eau permanente »
  • La demande a augmenté avec la démographie, mais elle a augmenté d’une façon irraisonnée : surexploitation agricole, réseaux d’adduction et d’assainissement inadaptés et insuffisamment entretenus, pompage excessif de nappes phréatiques…
  • La conséquence est une diminution de la qualité de l’eau, qui entraîne notamment la pollution durable des nappes phréatiques et des crises sanitaires (notamment les épidémies de choléra). « Dans les pays en développement, 90 % des eaux usées sont rejetées sans traitement. Le potentiel destructeur des eaux usées ni collectées ni traitées est explosif. Les bombes sanitaires sont amorcées, prêtes à exploser en série »
  • Or, le problème de l’eau est central pour le développement des pays : l’eau détermine en grande partie la santé des individus, mais aussi le développement économique ou scolaire. La question est au cœur des objectifs du millénaire. Selon l’auteur, si l’on veut les respecter, il faudra apporter « l’eau potable à 900 millions d’individus et l’assainissement à 1,3 milliards d’ici 2015 » (soit dans sept ans).

Dans un deuxième chapitre, qu’il nomme « les faux amis de l’eau », l’auteur s’attache à dénoncer de fausses vérités ou lieux communs, qui à force de focaliser les attentions détournent des vrais problèmes :

  • Même si le réchauffement climatique aura des conséquences sur la ressource en eau, il ne faut pas surestimer son impact, car on risque d’oublier que la cause principale est essentiellement un manque d’engagement et d’organisation collectif. « Avec le martèlement médiatique généralisé sur le réchauffement climatique, on tend à oublier que les problèmes actuels d’eau dans le monde proviennent de l’homme, et non de la nature. Leur origine se trouve bien plus dans l’augmentation de la population et de la demande en eau par habitant que dans les évolutions climatiques en cours » Il ne faut pas surestimer le risque de « guerres de l’eau ». Au contraire, on voit se développer une « hydrosolidarité » à l’échelle mondiale ainsi que de nouvelles attitudes. Les pays développés prennent en compte la question climatique dans leur gestion de l’eau à long terme.
  • En ce qui concerne le financement du service d’eau, deux solutions mises en avant sont, selon l’auteur, impraticables : la gratuité totale et le recouvrement total par l’usager. Elles ne sont pas praticables dans les pays en développement : la gratuité ne permet pas d’entretenir les réseaux d’eau et le recouvrement par l’usager empêche l’accès des plus pauvres. Elles ne prennent pas en compte toutes les dimensions du service dans les pays développés : le consommateur paye certains services qui profitent à la collectivité, et qui devraient donc être plutôt financés par l’impôt. Il propose une solution mixte, qu’il nomme « recouvrement socialement acceptable ». « L’application du principe « l’eau paie l’eau », en vigueur dans les pays développés est irréaliste dans les pays en développement. Les investissements à réaliser y sont beaucoup trop lourds pour être supportés uniquement par les abonnés du service. Dans les pays en développement, la notion de ‘recouvrement acceptable des coûts’ doit se substituer au principe de ‘recouvrement intégral des coûts’ »

  • Selon l’auteur, le secteur privé, souvent dénoncé comme hégémonique ou responsable de tous les maux, serait insuffisamment représenté dans le secteur de l’eau (moins de 10 % à l’échelle mondiale). Cela serait essentiellement dû à des contrats mal conçus dans le passé et à un manque d’expérience. L’auteur cite la dernière étude de la Banque mondiale selon laquelle « seuls 8% des partenariats public-privé mis en œuvre depuis 1990 ont été annulés avant la fin des contrats ».

  • Antoine Frérot refuse la critique selon laquelle l’eau serait chère. « Dressant un parallèle hâtif avec l’or noir, on assimile parfois l’eau à l’or bleu. Il n’en est rien : l’eau n’est pas le pétrole. Le pétrole est une ressource fossile, exploitée de façon minière ; l’eau, une ressource renouvelable ». De la même façon, il dénonce un autre amalgame « l’eau n’est pas non plus l’électricité. C’est un produit facile à stocker, mais cher à transporter sur de longues distances. En somme, elle est l’inverse exact de l’électricité dont le transport est simple et peu couteux, mais dont le stockage est très difficile ». Pour pousser la comparaison il nous confronte à la réalité des couts de l’eau dans nos pays développés. Ainsi , « L’eau n’est pas un poste de dépense important dans les pays développés : En 2006, « en France, la facture d’eau représente en moyenne 1 euro par jour et par famille, pour 330 litres délivrés puis épurés quotidiennement. Les ménages consacrent à l’eau et l’assainissement 0,8 % de leur budget moyen, c’est à dire trois fois moins que pour les télécommunications (2,4 %) et quatre fois moins que pour l’électricité (3,8 %). En d’autres termes, l’eau est un des services publics les moins chers ». Dans les pays en développement, le prix serait trop faible, ce qui revient finalement à un entretien et à un raccordement insuffisants des réseaux, d’où une exclusion des populations les plus pauvres.

  • Enfin, il constate que le financement des Objectifs du Millénaire est insuffisant. « L’eau et l’assainissement bénéficient chaque année d’environ 3 milliards de dollars d’aide publique au développement. Or les investissements supplémentaires pour atteindre les Objectifs du millénaire dans l’eau et l’assainissement ont été chiffrés de 10 à 30 milliards de dollars par an. Le seuil minimum de 10 milliards correspond à l’emploi de techniques « durables et bon marché ». Même si la totalité de cette somme ne saurait provenir de l’aide publique au développement, on reste loin du compte » L’aide publique est indispensable et trop faible. Les nouvelles formes d’aide au développement (aides conditionnées aux résultats, associations bailleurs de fonds internationaux - opérateurs privés) permettent de débloquer des fonds.

Dans une troisième partie, l’auteur cherche à présenter des solutions et de nouveaux modèles de gestion de la ressource.

  • Antoine Frérot, considère que le droit à l’eau doit être inscrit dans les faits.

  • Il faut accroître la ressource en réduisant le gaspillage, en utilisant davantage le recyclage de l’eau et le dessalement de l’eau de mer (par exemple l’usine d’Ashkelon en Israël fournit 15% de l’eau potable du pays, dans une zone qui souffre de grave pénurie d’eau). De même, l’utilisation plus importante des eaux de pluie à des fins industrielles serait utile.

  • Dans les pays développés, les modèles de financement devraient évoluer. Deux pistes sont évoquées : le recours à l’impôt et la rémunération aux performances des opérateurs, comme cela est réalisé à Indianapolis. « A Indianapolis, ville de 1,1 millions d’habitants, dont Veolia Eau gère le service d’eau et d’assainissement, notre rémunération comprend une partie fixe et une partie variable. Le montant de cette dernière dépend du respect des performances exigées. Par exemple : respecter à 99,9% les standards de qualité d’eau établis par l’Environmental Protection Agency, ou encore, obtenir un taux de satisfaction des clients de 90%. Ce système d’indicateurs et de rémunération variable incite l’opérateur à améliorer ses performances »

  • Dans les pays en développement, l’enjeu est d’accroître la solidarité et de développer des formes innovantes de « social business ». L’auteur cite une joint-venture créée avec Muhamad Yunus (inventeur du microcrédit et prix Nobel de la Paix 2006). Une unité de production a été installée pour alimenter en eau potable une ville de 25 000 habitants. L’investissement est remboursé par les ventes d’eau, de façon progressive . La Grameen Bank a calculé un prix de vente de l’eau en fonction des capacités financières des habitants, soit 1.5 centimes les 10 litres. « Social business », car la joint venture fonctionne sur la règle : « pas de perte, pas de dividendes ».

  • Pour finir, le problème de l’eau ne peut être résolu qu’avec une amélioration de la gouvernance mondiale, qui implique une bonne volonté de chacun.

L’intérêt du livre est de dresser un tableau assez complet des problématiques de l’eau, mais de proposer aussi des idées nouvelles. L’auteur a cherché à sortir des débats classiques public/privé, prix/gratuité, etc.

On ne peut que partager le constat de l’importance du problème de l’eau, et sa volonté de renoncer au catastrophisme et à l’idéologie pour chercher (et trouver) collectivement des solutions concrètes.

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