jeudi 21 janvier 2010

1750-1789 : une « révolution de l'eau »

Les contemporains de Louis XIV et du jeune Louis XV, méfiants envers les vertus hygiéniques de l'eau, en réservaient l'usage au visage et aux mains. Pour les autres parties du corps, ils préféraient changer fréquemment de chemises et pratiquer la « toilette sèche » à base d'essuyage et de parfums.
L'état de puanteur qui caractérisait Versailles a été souvent évoqué, mais, dans la société parisienne au moins, les choses commencent à changer après 1750, car on va progressivement considérer que l'eau peut intervenir dans l'hygiène corporelle. C'est ainsi que Louis XV fait bâtir une salle de bains confortable disposant de deux baignoires, l'une pour se savonner, l'autre pour se rincer, et que se répandent alors linges de toilette et mouchoirs. Par contre, les caleçons font souvent défaut « sauf peut-être pour le confort de quelques frileux n'aimant pas les vents coulis », selon l'historien Daniel Roche qui donne l'exemple du maréchal de Schomberg, se changeant de chemise et de col tous les jours, de mouchoir tous les deux jours… et de caleçon une fois par mois !
Des baignoires aux bains publics
À Carcassonne, cette « révolution de l'eau » semble en être encore à la même époque à ses premiers clapotis. L'absence déjà mentionnée d'eau courante explique beaucoup de choses, mais les pots à eau eux-mêmes, avec leurs jattes de faïence, ne se rencontrent pas dans toutes les chambres. Toutefois, trois baignoires apparaissent dans les relevés notariaux, dont deux en fer-blanc et en plomb, chez Joseph II Airolles (1737-1790) et la troisième chez Roudil de Berriac qui se distingue en ayant dans son antichambre « une baignoire en bois et cerceaux châtaignier dedans en plomb avec robinet de fonte ».
Or, ces deux personnages appartiennent à la « partie éclairée » de la société carcassonnaise. Joseph II Airolles, issu d'une famille de drapiers, a acquis une charge qui lui confère la noblesse et, premier consul de la ville, franc maçon mais bon catholique, il encourage les embellissements réalisés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Quant à Jean-Antoine Roudil, son père avait été un important officier des finances et son l'hôtel était situé à l'angle des rues de Verdun et A.-Tomey, dans l'actuelle résidence de l'Officialité. Le fils, propriétaire de la manufacture de Cenne et de diverses fermes, est avant tout écuyer, c'est-à-dire que sa famille est noble depuis plusieurs générations, et seigneur de Berriac. On ne saurait s'étonner de voir dans les deux cas arriver dans notre ville des modes de la capitale.
Si, après les baignoires, nous passons aux bidets, on sait que ces derniers, apparus vers 1740 dans la noblesse, se répandent par la suite dans l'univers bourgeois et qu'ils traduisent une distinction sociale par leur apparence travaillée ; la cuvette est en faïence ou en étain, mais leur châssis en bois en fait un objet d'ébénisterie. Or, s'ils sont relativement nombreux à Carcassonne ; celui du seigneur de Berriac, « en noyer pied de biche garni en maroquin avec bassin en faïence », vaut 15 livres, contre 6 à 10 livres pour les autres meubles de cette catégorie.
Par ailleurs, dans les mêmes considérations portant sur l'hygiène corporelle, nous apprenons, à l'occasion d'un emprunt forcé levé en 1795, que deux frères Rolland, lesquels appartiennent à une autre grande famille de marchands-fabricants, sont actionnaires de « la maison des bains publics de cette ville » à hauteur de 52 livres ; il est regrettable que le document ne fournisse pas d'autre détail sur cet établissement.
Sans verser systématiquement dans le domaine scatologique, il faut mentionner l'absence, dans nos inventaires après décès, de « lieux à l'anglaise », munis de chasse d'eau et appelés à remplacer les fosses septiques et qui apparaissent dès le deuxième tiers du XVIIIe siècle à Paris. Peuvent y suppléer dans notre région les pots de chambre et les chaises percées : chez Pierre Laporterie on trouve trois ustensiles de ce type donnant sur le grand escalier de son hôtel ; le notaire remarque que l'une est couverte par une peau de mouton et une autre par une toile satinée.
Les remarques qui précèdent portant sur la partie la plus fortunée de la population, on conçoit qu'il faudra encore longtemps pour que progressent des exigences qui nous semblent incontournables afin d'assurer une bonne hygiène de vie et un état sanitaire valable.

Marquié (C.), L'industrie carcassonnaise au XVIIIe siècle, chapitre XI, Sesa, 1993.

source : La Dépêche

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