Moulamein, à quatre heures de route au nord de Melbourne, est le centre administratif du comté de Wakool, en Nouvelle-Galles du Sud. Un département rural où la plupart des habitants vivent de l'agriculture. Car nous sommes au coeur du bassin de Murray-Darling, la principale région agricole d'Australie, s'étendant sur quatre Etats. Les deux plus grands fleuves du pays, la Murray et la Darling, s'écoulent là, et ont longtemps offert des conditions idéales aux agriculteurs. Depuis la seconde guerre mondiale, les fermiers se sont installés, faisant pousser à loisir coton, fruits ou blé. Aujourd'hui, 40 % des fermes australiennes se trouvent dans ce bassin d'un million de km2. La région représente presque la moitié de la valeur de la production nationale agricole.
Mais le temps des récoltes fertiles semble lointain. Car depuis une décennie, une sécheresse persistante, la plus grave jamais enregistrée, a asséché les réservoirs. Et la Murray ne coule plus guère que dans les rêves des fermiers. Au sortir de l'hiver austral, cette année encore, les réservoirs du bassin sont peu remplis, à un quart seulement de leur capacité. Si certaines zones ont bien vu leurs précipitations augmenter, ce ne fut pas assez pour restaurer l'équilibre de la région. Les riverains sont contraints de limiter leur consommation d'eau, des usines de dessalement se construisent. La crise est devenue politique : les gouvernements des Etats s'accusent mutuellement d'avoir trop exploité le système fluvial.
Les fermiers, premiers concernés, sont désormais désignés à la vindicte publique. "On dit qu'il y a eu trop d'irrigation. C'est vrai, avec le recul, on s'en rend compte. Mais on ne pouvait pas deviner qu'il y aurait une telle sécheresse", commente Lawrence, qui exploite sa ferme depuis vingt-cinq ans, et espérait pouvoir la laisser à ses enfants. En Australie, les agriculteurs doivent acheter des "water entitlements", des droits à l'irrigation. Des droits théoriques, car tout dépend de l'eau disponible.
Lorsque la sécheresse s'est accentuée, les irrigateurs ont vu leur allocation diminuer progressivement. Jusqu'à ne plus rien obtenir du tout. Depuis quatre ans, Lawrence est ainsi privé d'eau, totalement ou presque, pour ses champs. "On n'a jamais connu un tel phénomène. Même les plus âgés ne se souviennent de rien de tel. L'Australie connaît des sécheresses, mais il y a quelque chose d'anormal cette fois, remarque-t-il. On n'aime pas parler de changement climatique ici, mais je pense que si, c'est bien cela."
Depuis les éleveurs poussés à vendre leurs troupeaux jusqu'aux horticulteurs arrachant leurs arbres, les agriculteurs se retrouvent dans une situation extrêmement difficile. Rod Chalmers, le maire du comté de Wakool, habite lui aussi dans le bush, sur une propriété où il fait pousser riz et céréales. En dix ans, son chiffre d'affaires a été divisé par dix. "1996 fut la dernière année où les allocations en eau étaient normales", se rappelle-t-il. Pour compliquer les choses, même lorsqu'ils ne reçoivent plus d'eau, les fermiers irrigateurs doivent continuer de payer des charges fixes pour maintenir les infrastructures en état. Pour un gros exploitant comme Lawrence, cela représente 80 000 dollars par an.
Alors, dans ce pays de bush, la résilience légendaire des habitants s'est peu à peu émoussée. 2009 semble être l'année de trop. "Jusqu'à maintenant, les gens se sont dits : on reste et on essaie de survivre en attendant la fin de la sécheresse. Mais là, ils sont désespérés, on se rend compte d'un changement d'esprit. Depuis deux mois, les fermiers veulent partir", confie le maire de Wakool.
Certains adoptent des stratégies étonnantes. Lawrence, en charge de la question de l'eau pour la Fédération nationale des agriculteurs, a ainsi décidé de louer des terres en Australie-Occidentale, à 3 900 kilomètres de chez lui. Chaque semaine, il fait la route pour transporter ses machines jusqu'à son nouvel eldorado. "J'avais deux possibilités : être ruiné sans rien faire. Ou me ruiner en agissant", plaisante-t-il.
D'autres, lourdement endettés, n'ont d'autre choix que de vendre leur ferme pour partir travailler en ville. Pour Deborah Warne, qui fait pousser des avocats à Barham, pas loin de Moulamein, la décision est presque prise. "Si j'étais sûre d'arriver à vendre ma propriété, je la mettrais sur le marché dès demain", jure l'horticultrice, qui reproche au gouvernement un manque de soutien financier. "Qui va nourrir le pays si le bassin de Murray-Darling ne produit plus rien ?", s'irrite-t-elle. "Etant donné le climat de la région, il va falloir considérer l'arrêt des cultures très gourmandes en eau", estime Samuel Marx, chercheur en gestion de l'environnement à l'université du Queensland.
Progressivement, toute la communauté a été touchée par la crise. "Les commerces ferment peu à peu. Avant, les exploitations agricoles embauchaient des employés. Plus maintenant", déplore M. Chalmers. Il y a quelques mois, Lawrence Arthur a décidé d'investir dans un nouvel équipement sur sa propriété. Dans l'affluent de la Murray qui traverse ses terres, il a installé une nouvelle pompe, qu'il montre fièrement : "Et 2 kilomètres de tuyaux pour limiter l'évaporation". Si la sécheresse perdure, la pompe flambant neuve pourrait bien ne jamais avoir à fonctionner.
Source : Le Monde
1 commentaire:
Fuuuck je suis un gamin de 10 ans :Q
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