La Seine, un fleuve calme, s'écoule mollement au rythme de 250 m3 par seconde à Paris. Mais, sous l'effet de longs épisodes de pluies, elle se réveille et gonfle en quelques jours. Le débit avait atteint 2 500 m3 au pic de la crue de 1910!
Pour évaluer le risque d'inondations, qui demeure le premier risque naturel en Île-de-France, le suivi du débit est d'ailleurs tout aussi important que celui de la hauteur d'eau. Le débit fait l'objet d'une surveillance sophistiquée, avec un système à ultrasons installé au pied du pont d'Austerlitz depuis trois ans.
« Un jour l'eau reviendra. »
D'ordinaire, le niveau de la Seine est inférieur à un mètre. Lorsque l'eau grimpe à trois mètres, ce qui se produit presque tous les hivers dans la capitale, les voies sur berges commencent à être fermées. À 4,30 m, la navigation est interdite. À par tir de six mètres - ce seuil a été franchi à douze reprises au XXe siècle, la dernière fois remontant au 14 janvier 1982 -, les tunnels du RER C sont inondés et, pour éviter que l'eau n'envahisse les rues, il faut rehausser les murettes des quais.
Au-delà de sept mètres, l'eau commence à gagner certaines rues. À partir de huit mètres, comme en 1910, l'ensemble des zones inondables le long de la Seine - 13 arrondissements sont concernés au moins en partie – se retrouvent sous les eaux par débordement de surface mais aussi via le réseau d'assainissement et la remontée de la nappe d'eau (1).
Alors, quand ce scénario se reproduira-t-il, affectant le million d'habitants vivant en zones inondables en Île-de-France et, plus largement, perturbant la vie de cinq millions de Franciliens?
Les Grands Lacs de Seine se hasardent seulement à répondre qu'« un jour l'eau reviendra». Cet établissement public interdépartemental a pour mission d'atténuer les crues de la Seine et de ses principaux affluents grâce à la gestion de quatre grands lacs réservoirs (2) progressivement mis en service depuis la dernière guerre: le lac de Pannecière sur l'Yonne (1949), le lac de la forêt d'Orient sur la Seine (1966), le lac du Der-Chantecoq sur la Marne (1974) et ceux du Temple et d'Amance sur l'Aube (1990). Au total, ces lacs peuvent stocker en amont de la capitale 830 millions de mètres cubes d'eau.
Leur rôle décisif permet d'écrêter la crue, de limiter les inondations, pas de les supprimer. «En 1910, la crue a représenté un volume de six milliards de mètres cubes d'eau et 2,4 milliards sont passés par-des sus les berges», précise Pascal Popelin, président des Grands Lacs de Seine et auteur du jour où l'eau reviendra (3). D'où le projet d'un cinquième grand aménagement, dit de la Bassée, en Seine-et-Marne, à l'étude depuis 2001, qui devrait faire l'objet d'un débat public fin 2011 en vue d'une réalisation en 2014.
Fini l'époque des grands barrages. L'ouvrage de la Bassée suit une philosophie différente : il vise à réaménager sur 2 300 hectares en Seine-et-Marne une ancienne zone naturelle d'expansion de crues - une plaine située entre Montereau-Fault-Yonne et Bray- sur-Seine - pour y stocker de manière temporaire 55 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires qui seraient pompés dans la Seine et permettraient ainsi de faire baisser le niveau d'une crue à Paris de 30 à 60 cm. Mais pas encore de
totalement supprimer le risque d'inondation. «S'il avait existé au XXe siècle, l'aménagement de la Bassée aurait été utilisé à 18 reprises et aurait évité trois milliards d'euros de dommages», fait valoir Pascal Popelin. Des communes comme celles d'Ivry ou Alfortville seraient mises hors d'eau lors d'une crue type 1910 et la ligne C du RER serait protégée lors des crues dites trentennales et resterait vulnérable uniquement aux crues centennales. De quoi, aux yeux de Pascal Popelin, largement justifier l'investissement des 500 millions d'euros requis pour réaliser l'ouvrage, notamment la construction d'une soixantaine de kilomètres de talus devant border la zone d'inondation temporaire.
La Bassée vise, en cas de concomitance de crue de la Seine et de l'Yonne, à intercepter et retarder
la crue de la Seine pour laisser passer celle de l'Yonne, l'affluent «sauvageon» plus intrépide que le fleuve. «Les crues de la Seine sont d'ordinaire dues à des pluies d'origine océanique, des précipitations de longue durée et d'intensité modérée, le cumul finissant par créer la crue», explique Daniel Duband, président de la division Eau et environnement de la Société hydrotechnique de
France et organisateur du colloque sur les risques d'inondations en Île-de-France, qui se tiendra
les 24 et 25 mars prochains. Mais aujourd'hui, hydrologues et météorologues s'interrogent sur le risque d'un cumul exceptionnel décrues à la fois d'origine océanique et méditerranéenne dû à une alternance rapprochée de circulations météorologiques. « Cela s'est déjà produit par deux fois sur le Rhône et la Loire au XIXe siècle: à des longues pluies régulières venues de l'océan succède un épisode de pluies méditerranéennes plus intenses à un moment où les sols sont déjà gorgés d'eau », explique Daniel Duband. Le résultat est évidemment dévastateur. Ces pluies d'origine méditerranéenne remontent la vallée du Rhône jusqu'au Morvan et à la Loire. L'Yonne, qui prend précisément sa source dans le Morvan, peut donc être exposée à ces pluies et alors aggraver le risque d'inondation en Île-de-France. « Certaines crues records survenues dans l'est de l'Europe, ces dernières années, notamment celle de l'Elbe en Allemagne en 2002, ont eu pour origine des types de précipitations très peu fréquents. D'où cette interrogation sur un risque mal connu pour le bassin de la Seine, poursuit Daniel Duband. Pour éclairer cette question, nous devons poursuivre un gros travail de mémoire et d'analyse scientifique des raisons qui ont conduit aux inondations passées, indispensable pour affiner les modèles de prévision. »
L'autre grande inconnue réside dans l'impact du changement climatique, aussi bien en matière de risque d'étiage et de manque d'eau, l'été - on pouvait traverser la Seine en bottes lors de l'été 1942! – que de risque d'inondation, l'hiver. La France doit se doter d'ici à 2011 d'un plan national d'adaptation au changement climatique, comportant notamment des mesures à adopter face aux inondations. Les premières conclusions d'un groupe de travail sont attendues pour le mois de juin prochain.
MARIE VERDIER
(1) 322 communes sont classées inondables sur les 1 300 de la région Île-de-France.
(2) Ces lacs servent également de soutien d'étiage pendant l'été.
(3) Éditions J.-C. Gawsewitch, 221 p., 17,90 6 (lire La Croix du 15 décembre
2009.
Pour évaluer le risque d'inondations, qui demeure le premier risque naturel en Île-de-France, le suivi du débit est d'ailleurs tout aussi important que celui de la hauteur d'eau. Le débit fait l'objet d'une surveillance sophistiquée, avec un système à ultrasons installé au pied du pont d'Austerlitz depuis trois ans.
« Un jour l'eau reviendra. »
D'ordinaire, le niveau de la Seine est inférieur à un mètre. Lorsque l'eau grimpe à trois mètres, ce qui se produit presque tous les hivers dans la capitale, les voies sur berges commencent à être fermées. À 4,30 m, la navigation est interdite. À par tir de six mètres - ce seuil a été franchi à douze reprises au XXe siècle, la dernière fois remontant au 14 janvier 1982 -, les tunnels du RER C sont inondés et, pour éviter que l'eau n'envahisse les rues, il faut rehausser les murettes des quais.
Au-delà de sept mètres, l'eau commence à gagner certaines rues. À partir de huit mètres, comme en 1910, l'ensemble des zones inondables le long de la Seine - 13 arrondissements sont concernés au moins en partie – se retrouvent sous les eaux par débordement de surface mais aussi via le réseau d'assainissement et la remontée de la nappe d'eau (1).
Alors, quand ce scénario se reproduira-t-il, affectant le million d'habitants vivant en zones inondables en Île-de-France et, plus largement, perturbant la vie de cinq millions de Franciliens?
Les Grands Lacs de Seine se hasardent seulement à répondre qu'« un jour l'eau reviendra». Cet établissement public interdépartemental a pour mission d'atténuer les crues de la Seine et de ses principaux affluents grâce à la gestion de quatre grands lacs réservoirs (2) progressivement mis en service depuis la dernière guerre: le lac de Pannecière sur l'Yonne (1949), le lac de la forêt d'Orient sur la Seine (1966), le lac du Der-Chantecoq sur la Marne (1974) et ceux du Temple et d'Amance sur l'Aube (1990). Au total, ces lacs peuvent stocker en amont de la capitale 830 millions de mètres cubes d'eau.
Leur rôle décisif permet d'écrêter la crue, de limiter les inondations, pas de les supprimer. «En 1910, la crue a représenté un volume de six milliards de mètres cubes d'eau et 2,4 milliards sont passés par-des sus les berges», précise Pascal Popelin, président des Grands Lacs de Seine et auteur du jour où l'eau reviendra (3). D'où le projet d'un cinquième grand aménagement, dit de la Bassée, en Seine-et-Marne, à l'étude depuis 2001, qui devrait faire l'objet d'un débat public fin 2011 en vue d'une réalisation en 2014.
Fini l'époque des grands barrages. L'ouvrage de la Bassée suit une philosophie différente : il vise à réaménager sur 2 300 hectares en Seine-et-Marne une ancienne zone naturelle d'expansion de crues - une plaine située entre Montereau-Fault-Yonne et Bray- sur-Seine - pour y stocker de manière temporaire 55 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires qui seraient pompés dans la Seine et permettraient ainsi de faire baisser le niveau d'une crue à Paris de 30 à 60 cm. Mais pas encore de
totalement supprimer le risque d'inondation. «S'il avait existé au XXe siècle, l'aménagement de la Bassée aurait été utilisé à 18 reprises et aurait évité trois milliards d'euros de dommages», fait valoir Pascal Popelin. Des communes comme celles d'Ivry ou Alfortville seraient mises hors d'eau lors d'une crue type 1910 et la ligne C du RER serait protégée lors des crues dites trentennales et resterait vulnérable uniquement aux crues centennales. De quoi, aux yeux de Pascal Popelin, largement justifier l'investissement des 500 millions d'euros requis pour réaliser l'ouvrage, notamment la construction d'une soixantaine de kilomètres de talus devant border la zone d'inondation temporaire.
La Bassée vise, en cas de concomitance de crue de la Seine et de l'Yonne, à intercepter et retarder
la crue de la Seine pour laisser passer celle de l'Yonne, l'affluent «sauvageon» plus intrépide que le fleuve. «Les crues de la Seine sont d'ordinaire dues à des pluies d'origine océanique, des précipitations de longue durée et d'intensité modérée, le cumul finissant par créer la crue», explique Daniel Duband, président de la division Eau et environnement de la Société hydrotechnique de
France et organisateur du colloque sur les risques d'inondations en Île-de-France, qui se tiendra
les 24 et 25 mars prochains. Mais aujourd'hui, hydrologues et météorologues s'interrogent sur le risque d'un cumul exceptionnel décrues à la fois d'origine océanique et méditerranéenne dû à une alternance rapprochée de circulations météorologiques. « Cela s'est déjà produit par deux fois sur le Rhône et la Loire au XIXe siècle: à des longues pluies régulières venues de l'océan succède un épisode de pluies méditerranéennes plus intenses à un moment où les sols sont déjà gorgés d'eau », explique Daniel Duband. Le résultat est évidemment dévastateur. Ces pluies d'origine méditerranéenne remontent la vallée du Rhône jusqu'au Morvan et à la Loire. L'Yonne, qui prend précisément sa source dans le Morvan, peut donc être exposée à ces pluies et alors aggraver le risque d'inondation en Île-de-France. « Certaines crues records survenues dans l'est de l'Europe, ces dernières années, notamment celle de l'Elbe en Allemagne en 2002, ont eu pour origine des types de précipitations très peu fréquents. D'où cette interrogation sur un risque mal connu pour le bassin de la Seine, poursuit Daniel Duband. Pour éclairer cette question, nous devons poursuivre un gros travail de mémoire et d'analyse scientifique des raisons qui ont conduit aux inondations passées, indispensable pour affiner les modèles de prévision. »
L'autre grande inconnue réside dans l'impact du changement climatique, aussi bien en matière de risque d'étiage et de manque d'eau, l'été - on pouvait traverser la Seine en bottes lors de l'été 1942! – que de risque d'inondation, l'hiver. La France doit se doter d'ici à 2011 d'un plan national d'adaptation au changement climatique, comportant notamment des mesures à adopter face aux inondations. Les premières conclusions d'un groupe de travail sont attendues pour le mois de juin prochain.
MARIE VERDIER
(1) 322 communes sont classées inondables sur les 1 300 de la région Île-de-France.
(2) Ces lacs servent également de soutien d'étiage pendant l'été.
(3) Éditions J.-C. Gawsewitch, 221 p., 17,90 6 (lire La Croix du 15 décembre
2009.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire