L'observateur de l'OCDE alerte sur le fait que les débats sur les plans de relance budgétaire à court terme et l'avènement d'économies à « croissance verte » font l'impasse sur une chose essentielle : l'eau.
La « Réponse stratégique de l'OCDE à la crise financière et économique » omet de mentionner l'eau. D'autres études commettent la même erreur. Sous-estiment-elles les avantages directs et indirects de l'eau, ou ne perçoivent-elles tout simplement pas les coûts de la négligence et de l'inaction ?
De fait, il existe peu, voire pas de chiffres fiables sur les dépenses, les coûts et les avantages liés à l'eau. Les spécialistes du secteur de l'eau ont l'impression que dans la situation actuelle, les coûts outrepassent les avantages perçus. S'ils disent vrai, la perspective d'un avenir durable s'éloigne. Sans informations solides, comment les experts peuvent-ils convaincre les décideurs de la gravité de la situation actuelle ? Il est temps de revenir aux fondamentaux.
La crise économique est l'occasion de susciter une prise de conscience du rôle vital de l'eau. Il est urgent de rattraper le temps perdu et de faire face aux pressions grandissantes sur les ressources en eau - dues à la croissance démographique, à nos modes de vie ou au changement climatique - avec tout le sérieux que requiert la situation.
Une partie du problème tient au manque d'intérêt de nombreux responsables politiques pour l'eau. Déjà avant la crise, les fonds publics et privés nécessaires à l'entretien et à l'extension des services d'eau étaient inadéquats. Les risques perçus des investissements dans l'eau sont apparus de plus en plus importants, entraînant une baisse des investissements dans les nouveaux ouvrages et l'entretien. Des approches irréalistes de recouvrement des coûts ont entraîné des performances opérationnelles insatisfaisantes, une couverture réduite et une baisse de la qualité des services. Les particuliers et les entreprises, notamment dans les pays les moins avancés, n'ont pas un accès suffisant à l'eau potable, à l'assainissement et aux autres services essentiels. Les Objectifs du Millénaire pour le développement sont loin d'être atteints. Selon le Rapport mondial sur le développement humain du PNUD de 2006, les investissements annuels nécessaires pour atteindre les objectifs liés à l'eau et à l'assainissement devraient représenter environ 2,7 % du PIB, soit 7 milliards de dollars US par an pour la seule Afrique subsaharienne. C'est bien plus que les 0,3% du PIB, ou 800 millions de dollars, consacrés à l'eau actuellement.
Cette situation risque d'empirer avec la crise, la Banque mondiale ayant récemment constaté que la diminution des investissements publics a particulièrement touché l'investissement dans les infrastructures de l'eau. Enfin, si rien n'est fait, les coûts de la négligence et de l'inaction seront catastrophiques, et se répercuteront dans tous les secteurs de l'économie : les pénuries feront disparaître des emplois dans l'agriculture et l'industrie ; les individus et les familles en ressentiront les effets sur leur niveau de vie, et une ressource indispensable à la vie sera menacée.
L’agriculture, premier utilisateur d'eau, sera frappée de plein fouet, avec une baisse des rendements, entraînant des pénuries alimentaires et une hausse des prix des produits de base, ce qui pourrait paralyser les échanges avec les économies émergentes. Le secteur énergétique sera également menacé et le développement d'énergies à faibles émissions de carbone sera ralenti. Le secteur manufacturier sera lui aussi menacé par la cherté et la rareté de l'eau et des produits qui en dépendent.
Un échec dans le traitement des eaux polluées et la protection des populations et des écosystèmes aquatiques aggraverait les coûts liés aux affections et aux maladies, avec des répercussions sur l'éducation et la productivité, sans parler de la perte d'une partie des ressources en eau utilisables et de la destruction de certains écosystèmes. Quel sera le coût de ces conséquences de l'inaction, et à quel prix pourra-t-on les éviter ? Nul ne le sait, mais nous devons tout faire pour éviter ce scénario.
C'est ici que peuvent intervenir les gouvernements, les entreprises et des organisations internationales telles que l'OCDE. Des stratégies nationales doivent assurer les investissements nécessaires aux infrastructures et aux services de l'eau. Par exemple, il conviendrait désormais de préaffecter une partie des fonds publics issus des plans de relance budgétaire au financement de l'amélioration des infrastructures de l'eau. Après tout, comme l'OMS et d'autres l'ont constaté, le rapport coûts-avantages de tels investissements se situe aux alentours de 1/8, et peut atteindre 1/40 dans certains cas (voir « Global cost-benefit analysis of water supply and sanitation interventions », Hutton, Haller and Bartram, WHO Journal of Water and Health, 5 avril 2007). Les investissements consacrés à l'eau doivent ainsi figurer en bonne place dans les plans de relance à court terme, mais il faudra aussi les maintenir par la suite.
Quant aux entreprises, beaucoup d'entre elles s'efforcent depuis des années d'utiliser l'eau de façon plus efficiente, notamment en améliorant leurs technologies. Elles devraient toutefois redoubler d'efforts, en collaborant avec des associations telles que le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable ou la Water Environment Federation en cherchant à s'engager aux côtés des autres acteurs pour trouver de meilleures manières d'utiliser et de gérer l'eau. Elles devront en outre continuer d'encourager les responsables politiques à valoriser et à promouvoir la conservation de l'eau.
L'OCDE peut elle aussi apporter sa pierre en approfondissant ses analyses sur l'économie de l'eau, afin d'évaluer la situation actuelle de l'investissement et d'aider à préparer l'avenir. Selon le BIAC, ces analyses devraient mettre en évidence les avantages économiques de l'accès à une eau salubre, ainsi que le coût de l'inaction. Elles pourraient aussi démontrer la valeur des nouvelles stratégies de financement pour l'ensemble de l'économie. Les décideurs doivent être bien informés pour pouvoir mobiliser à court terme les fonds nécessaires aux infrastructures de l'eau et stimuler les investissements à long terme en faveur du développement durable.
La crise mondiale est grave, mais la catastrophe peut être évitée. Le débat sur l'adoption de plans de relance et l'essor d'économies solides offre une occasion unique de revenir aux fondamentaux - or quoi de plus fondamental pour la vie que l'eau ?
Le BIAC est le Comité consultatif économique et industriel auprès de l'OCDE. Voir www.biac.org
Pour voir les travaux de l'OCDE sur l'eau, www.oecd.org/eau
source : L'Observateur de l'OCDE n° 272
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire