François Anctil est l’auteur de L’eau et ses enjeux -Les Presses de l’Université Laval et De Boeck Université, 2008 - et a reçu la même année un prix d’excellence en enseignement de l’Université Laval pour son cours en ligne de culture scientifique Eaux. Il fait le point sur les possibilités et les limites des sciences de l’ingénieur face aux problématiques de pénurie.
L’eau a longtemps été perçue comme une ressource peu limitée qui se renouvelle au rythme des saisons. Depuis, l’homme a appris à maîtriser et à détourner les cours d’eau et à exploiter les nappes souterraines. Par exemple, l’irrigation est devenue une très grande consommatrice d’eau. Les réserves et les flux étant en réalité limités, ces usages font que l’eau peut aujourd’hui manquer même là où les précipitations sont passablement abondantes.
La disponibilité en eau doit donc être évaluée sous la perspective des quantités disponibles pour l’ensemble des usages économiques, sociaux et naturels. La qualité est également un enjeu, car une eau dégradée n’est plus disponible ou seulement partiellement disponible au milieu.
Mais que peut faire le génie civil pour contrer les pénuries d’eau ? Ce texte aborde cette question en quatre temps, en distinguant d’abord aridité et sécheresse, en énonçant les moyens techniques du génie civil, en discutant des principes de gestion de la ressource en eau dans un contexte de pénurie, puis en concluant par une réflexion sur les multiples conséquences du manque d’eau.
Aridité ou sécheresse ?
Pour aborder le manque d’eau, il faut en retracer les causes, étudier les processus physiques en jeu, observer le comportement hydrologique, aborder la problématique de gestion de l’eau et formuler des mesures de conservation et d’économie de la ressource.
L’aridité reflète un manque naturel et permanent d’eau, à la suite de modestes précipitations annuelles. Les milieux arides se caractérisent par la faible teneur en eau de leur sol et par de longues périodes de faibles débits, voire de débits nuls. Ces milieux sont parfois soumis à d’intenses précipitations locales pouvant mener à des crues éclairs.
La sécheresse marque un état naturel mais temporaire de manque d’eau à la suite d’une période de précipitations inférieures à la moyenne. La durée, la fréquence et la sévérité de cet état sont toutefois difficiles à anticiper puisqu’elles sont très variables dans le temps et l’espace. Il reste tout de même que les sécheresses sont des phénomènes récurrents, souvent catastrophiques pour l’agriculture, pour les milieux aquatiques et pour les activités humaines.
La variabilité des sécheresses en intensité, dans l’espace et dans le temps, complique leur définition. Par exemple, on qualifie parfois les sécheresses par leurs conséquences météorologiques (rareté de précipitations), par leurs conséquences agricoles (pertes de production) ou encore par leurs conséquences hydrologiques (faibles débits ou bas niveaux de nappe phréatique).
Pour sa part, la désertification est un manque d’eau permanent résultant d’une mauvaise gestion du territoire (et de l’eau), telle que l’appauvrissement des sols et l’exploitation abusive de l’eau souterraine.
Contrer les pénuries
Faire pleuvoir à volonté, pour combler un manque d’eau, reste encore une utopie technologique(1) .
L’outil technique de prédilection pour contrer les pénuries est plutôt le barrage, qui permet d’accumuler en son réservoir de l’eau pour les périodes de faible abondance. Aujourd’hui, près de la moitié des fleuves sont pourvus d’au moins un des quelque 47 500 barrages existants de plus de 15 mètres de hauteur(2) . Or, l’irrigation est la fonction exclusive de la moitié de ceux-ci, reflet de la rareté de l’eau et de ces bienfaits attendus. Ainsi, entre 30 % et 40 % des 271 millions d’hectares irrigués le sont à partir de ces barrages, ce qui assure entre 12 % et 16 % de la production alimentaire mondiale.
Malgré les meilleures volontés du promoteur, construire un grand barrage entraîne des répercussions sur l’environnement et la société. Le barrage sans conséquence est une illusion. Tout au plus peut-on promettre des conséquences minimales. Par exemple, le territoire inondé à la suite de la construction d’un barrage se comportera à la manière d’un lac et non plus d’une rivière. L’écosystème aquatique initial sera biffé et remplacé par un nouvel écosystème dont on ne maîtrisera que difficilement la destinée. La valeur économique de cette nouvelle ressource aquatique sera souvent moindre que l’écosystème initial qui assurait la subsistance d’une partie de la population riveraine.
Vivre en pénurie
La meilleure façon de vivre en milieu aride est d’appliquer un mode de gestion en harmonie avec l’environnement, c’est-à-dire adapté à la rareté de l’eau. Une partie des problèmes actuels de gestion de l’eau des pays arides et semi-arides proviennent de l’importation de techniques et de modes de gestion mis au point dans un contexte où l’eau est plus abondante et de l’abandon de techniques millénaires développées localement(3) .
L’exploitation durable de l’eau en milieu aride implique l’adoption et la mise en œuvre d’une gestion intégrée de l’eau et du territoire, l’amélioration des systèmes de distribution et d’irrigation, l’adoption de politiques d’allocation d’eau incitant la conservation et l’utilisation raisonnée de la ressource, la valorisation de l’eau comme un bien à grande valeur économique, sociale et environnementale, l’exploitation durable de toutes les ressources disponibles, incluant le recyclage et l’exploitation de sources saumâtres pour certains usages, la participation des meilleures techniques d’irrigation (dans une perspective d’économie de l’eau), la collaboration des usagers dans la planification et la gestion de l’eau à l’échelle locale et l’éducation des gestionnaires, opérateurs et utilisateurs.
La gestion de l’eau en période de sécheresse peut emprunter beaucoup d’éléments énoncés pour les milieux arides.
Le problème ici réside en bonne partie dans la difficulté à prévoir le début, la durée et l’intensité d’une sécheresse, ce qui fait que l’on réalise trop souvent qu’une sécheresse est active lorsque les conséquences se font déjà sentir. La mise en place de plans d’urgence permettant de prendre les décisions adéquates au fur et à mesure que se développe une sécheresse est donc incontournable.
Un tel plan devrait inclure les éléments suivants : des modifications aux allocations en eau et dans le fonctionnement quotidien des systèmes de distribution et d’irrigation, l’exploitation de sources de moindre qualité (tout en contrôlant les conséquences possibles), des modifications aux plans de cultures des fermes (par exemple, cultiver des végétaux moins exigeants en eau), de l’aide financières aux agriculteurs ou aux industries qui sacrifient des droits d’eau au profit d’autres usages et une communication efficace de la situation et des décisions qui sont prises.
Conséquences du manque d’eau
Le manque d’eau est une réalité fortement répandue. Mais quelles en sont les conséquences? L’eau disponible est alors insuffisante pour la production locale de nourriture. L’absence d’eau interfère dans le développement industriel, urbain et touristique. Les cours d’eau et les lacs sont ponctionnés au point de ne plus pouvoir accueillir sans conséquence les charges polluantes industrielles, urbaines et agricoles qu’on y déverse, ayant pour effet de rendre leur eau impropre.
La détérioration des sources d’eau est propice à la prolifération de maladies, sans compter que la pauvreté ne favorise pas la mise en place de systèmes de traitement et de distribution efficaces. Le manque d’eau ne peut qu’envenimer les conflits associés au partage de la ressource entre régions ou pays, ou encore entre des utilisateurs différents au sein d’une même région. Et la préservation des écosystèmes est généralement négligée lorsque l’eau se fait rare.
Notes
Le débat sur l’ensemencement des nuages perdure encore, à savoir si cette technique tient davantage du mythe que de la réalité. Une perspective historique de la question est proposée par Fleming JR - The pathological history of weather and climate modification: Three cycles of promise and hype. Hist Stud Phys Biol, 2006, 37, 3-25.
Devant les succès et insuccès de l’expérience mondiale des grands barrages, la Banque mondiale et l’Union mondiale pour la nature s’associent à de nombreux autres groupes d’intérêt pour créer en 1997 la Commission mondiale des barrages qui a pour mandat de faire un examen impartial approfondi de la situation et de proposer des normes pour l’avenir. Les informations divulguées sont tirées de leur rapport : Commission mondiale des barrages - Barrages et développement. Un nouveau cadre pour la prise de décisions. Tour d’horizon. Cape Town, Afrique du Sud, 2000, 29 p.
Pereira LS, Cordery I et Iacovides I - Coping with Water Scarcity. Technical Documents in Hydrology 58, UNESCO, Paris, France, 2002, 269 p.
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