Alors que la reprise des négociations climatiques, en décembre à Copenhague, devrait focaliser l'attention sur les projections d'élévation de la hauteur des mers, les marégraphes d'Europe du nord notent depuis longtemps une baisse continue du niveau de l'océan... Pour le béotien, de telles observations semblent trancher avec le pessimisme des experts. Elles ne font, en réalité, que refléter la diversité des mécanismes en jeu. Pour cause de réchauffement, les eaux s'élèvent en moyenne de 3,3 mm par an. Mais cette montée des eaux est perturbée - tantôt compensée, tantôt aggravée - par des phénomènes d'origine géologique difficiles à appréhender. Et qui compliquent une question épineuse : comment monteront les océans d'ici à 2100 ?
En 2007, le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) tablait sur une augmentation moyenne comprise entre 18 cm et 59 cm. Mais, s'agissant des calottes glaciaires, cette estimation tenait uniquement compte de leur fonte prévisible. Elle ignorait un phénomène encore peu documenté au moment de la rédaction du rapport : le glissement des glaciers du Groenland et de l'Antarctique vers la mer. Ce mécanisme est aujourd'hui reconnu comme majeur. Selon les travaux d'Eric Rignot (université de Californie à Irvine), l'inlandsis du Groenland perd environ 300 milliards de tonnes (Gt) de glace par an ; l'Antarctique en relâche quelque 200 Gt. Soit environ 500 Gt de glaces polaires qui s'écoulent, chaque année, dans la mer.
A prendre en compte cette glissade des glaciers polaires, on noircit forcément le tableau. En mars, plusieurs centaines de climatologues réunis dans la perspective de la reprise des négociations climatiques ont rendu publique une mise à jour des connaissances sur la question. Les nouvelles estimations d'élévation moyenne globale du niveau de la mer, précisaient-ils, "sont de l'ordre du double" de celles émises en 2007 par le GIEC.
Y a-t-il pour autant consensus sur la question ? "A l'heure actuelle, beaucoup de mes collègues hésitent à accepter cette estimation parce que d'une part elle fait peur, et que d'autre part nous ne pouvons pas prévoir si les tendances actuelles vont se maintenir, diminuer ou augmenter, dit M. Rignot. Je crois important de noter qu'un mètre de montée du niveau des mers d'ici à 2100 ne relève pas de la science-fiction puisque les calottes polaires sont déjà sur cette trajectoire." Au rythme actuel, précise le chercheur, elles provoqueraient à elles seules "une élévation de 60 cm à 80 cm à la fin du siècle", la fonte des glaciers de montagne et l'expansion thermique des océans (la dilatation des eaux due au réchauffement) se chargeant d'ajouter encore quelques centimètres.
Le débat, parfois vif, n'est pas illégitime. Car l'océan réserve parfois des surprises. Au début de l'année, une équipe de chercheurs français exploitant des données satellitaires et le réseau de bouées océanographiques Argo, a ainsi observé qu'entre 2003 et 2007, le rythme d'élévation de l'océan avait ralenti. De 3,3 mm par an en moyenne entre 1993 et 2003, il était passé, entre 2003 et 2007, à 2,5 mm par an.
Les auteurs ont eu le fin mot de cette étrangeté. "Entre 1993 et 2003, le principal contributeur de la hausse du niveau marin était l'expansion thermique de l'océan, explique Anny Cazenave (Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales), principal auteur de ces travaux. A partir de 2003, ce phénomène a, semble-t-il, marqué une pause, tandis que la fonte des glaciers d'altitude et la réduction des calottes glaciaires devenaient dominantes, responsables d'environ 80 % de la hausse observée." Reste que malgré la contribution accrue des glaces, la "pause" intervenue dans le réchauffement de l'océan a ralenti la hausse des océans. Pour le climatologue Edouard Bard (Collège de France), "il ne s'agit là que d'une petite fluctuation de l'océan comme on en a déjà observé par le passé, en 1998 par exemple". De plus, les dernières mesures du niveau moyen global de la mer suggèrent que cette "pause" s'achève et que l'océan monte, à nouveau, à un rythme supérieur à 3 mm par an.
Dans certaines régions pourtant, il persiste à baisser. "Au Canada et en Scandinavie, par exemple, on mesure des baisses du niveau de la mer de l'ordre d'un centimètre par an", explique M. Bard... Cette bizarrerie n'est pas, elle, due au changement climatique actuel. Pas plus qu'aux caprices de l'océan. Elle tient à un phénomène, baptisé "rebond postglaciaire", provoqué par la dernière déglaciation, il y a plusieurs milliers d'années. "Il y a 20 000 ans, lors du dernier maximum glaciaire, il y avait des calottes de glace de 4 et 2 km d'épaisseur sur l'Amérique et l'Europe du Nord, explique M. Bard. En fondant, ces énormes masses de glace ont provoqué un réajustement de la croûte et du manteau terrestres."
Cette lente remontée de la croûte est encore sensible dans les hautes latitudes. Ce que les marégraphes des pays nordiques enregistrent n'est donc pas, stricto sensu, une baisse du niveau de la mer, mais une élévation locale de la croûte terrestre, plus rapide que celle de l'océan ! Ailleurs sur le globe - notamment sur les côtes françaises atlantiques et méditerranéennes -, la même relaxation "postglaciaire" du manteau est responsable d'un affaissement des terres émergées, d'où une montée relative des eaux plus importante.
A ce "rebond" s'ajoutent d'autres phénomènes. Qui, eux aussi, peuvent accroître la vulnérabilité de certains littoraux. Dans certains bassins, l'océan stocke plus de chaleur que dans d'autres et, localement, s'y dilate plus. Dans certaines régions, le sol s'enfonce à la suite du pompage de l'eau ou de l'exploitation pétrolière... D'autres mécanismes sont contraires à l'intuition. "Lorsqu'une grosse calotte glaciaire perd de la glace, cela fait augmenter le niveau marin moyen, mais autour de la calotte, la mer descend, explique ainsi M. Bard. Tout simplement parce que la calotte exerce alors une force d'attraction gravitationnelle moindre sur les eaux qui sont autour !"
L'un des objectifs nouveaux de la communauté océanographique, dit Mme Cazenave, "est de bâtir un modèle intégré, tenant compte des effets climatiques mais aussi de tous les autres, pour pouvoir prévoir la montée des eaux à l'échelle locale, pour les vingt, cinquante ou cent prochaines années". Une gageure.
Source : Le Monde
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