Château d’eau de l’Asie, le Tibet est le berceau de la plupart des grands fleuves qui irriguent les pays asiatiques. On compte notamment le Brahmapoutre (Chine, Inde, Bengladesh), le Mékong (Chine, Myanmar, Laos, Thaïlande, Cambodge, Viêt Nam), l’Indus (Inde, Pakistan) et enfin le Fleuve Jaune et le Fleuve bleu (Chine). Pas moins de trois milliards de personnes vivent de ces ressources d’eau. Quatrième plus grand réservoir d’eau douce de la planète, le Toit du Monde est un enjeu stratégique pour l’ensemble de l’Asie et plus particulièrement pour la Chine qui y voit un moyen d’assouvir ses aspirations d’accroissement de puissance économique et politique.
Qui tient l’approvisionnement en eau, tient le pouvoir. Les différentes dynasties chinoises l’avaient très bien compris. Ainsi l’histoire de l’Empire chinois est rythmée par la recherche de la maîtrise de cette ressource. Cette volonté se caractérise dans les idéogrammes mêmes du terme Chine, qui comprend l’idée de la maîtrise des fleuves. Les différentes politiques économiques doublées du rapide développement industriel n’ont fait qu’aggraver la situation originelle de la Chine : assèchement des sols, pollution, destruction des ressources halieutiques et des écosystèmes, intrusion d’eau saline dans les nappes phréatiques. L’eau est restée au cœur des préoccupations de la Chine. Dans ce processus de stratégie économique et d’accroissement de puissance, les eaux du Tibet sont vitales. Déjà en 2003 sur les 45000 grands barrages répertoriés dans le monde, 22 104 étaient chinois ! Lorsque l’on sait qu’un tiers des cours d’eau partant du plateau tibétain traverse la Chine, on comprend l’attrait du géant chinois pour le Toit du Monde. George Ginsburg écrit dans son livre La Chine communiste et le Tibet : « Celui qui contrôle le Tibet domine le piémont himalayen ; celui qui domine le piémont himalayen menace le sous-continent indien ; et celui qui menace le sous-continent indien peut à n’importe quel moment se saisir de l’Asie du Sud, et même de toute l’Asie. » Les ressources d’eau du Tibet seraient donc la clé de contrôle du continent asiatique, du moins de la partie terrestre de l’Asie. La Chine l’a bien compris et a entamé depuis plusieurs années une série de projets pour résoudre son problème de pénurie d’eau au nord, répondre à ses ambitions économiques, et partir à la conquête des clés du continent asiatique.
En 1993, le projet du barrage des Trois Gorges sur le Yangsté, barrage hydroélectrique le plus long du monde (2 335 mètres) avec une capacité de production évaluée à 18 200 mégawatts. Ce projet a nécessité le déplacement de 1,2 million de personnes. Notons aussi que la banque mondiale refusa de soutenir sa construction à cause de son manque de viabilité et des conséquences écologiques qu’il entraîne. Claude B. Levenson, journaliste au Monde et à Politique Internationale, sinologue et tibétologue écrit : « la Chine, assoiffée d’eau et d’énergie, n’hésite pas à mettre en danger l’équilibre écologique de ses voisins, et au-delà de l’ensemble du continent ». En 2020, Pékin prévoit de réaliser 15% de sa consommation d’énergie grâce aux énergies renouvelables dont l’hydroélectricité. La construction de nombreux barrages, rappelant la politique de « grands travaux » du Grand bond en avant sous Mao, fait de la Chine le « robinet » de l’Asie. L’eau est utilisée comme une arme politique, en créant un climat de dépendance pour les pays voisins. Ce vecteur de puissance diplomatique auprès des pays voisins pourrait également déstabiliser la Chine sur le long terme. En effet, la nationalisation des parcelles privées des paysans, leurs expropriations ne manque pas de créer des troubles internes. Troubles que la Chine gère par l’envoi de force de police voire de l’armée.
Repoussant encore plus loin les limites du réalisable, le projet Tsangpo (autre nom du haut-Brahmapoutre quand il coule au Tibet) prévoit de détourner le fleuve au niveau de la frontière indienne. Pour le moment les choses sont encore sur le papier ou presque car la Chine ne souhaite pas de conflit direct avec le grand adversaire indien. A l’image du Jeu de Go, la Chine place ses pions pour enserrer ses voisins au service de son développement économique. De fait, ce projet de 50 milliards de dollars permettrait la construction de la plus grande centrale hydroélectrique, générant deux fois plus d’électricité que le barrage des Trois Gorges (40 000 mégawatts). Il permettrait aussi la mise en place de canaux afin d’irriguer les terres du Nord de la Chine et par la même occasion le désert de Gobi en vue d’y faire des expériences d’agriculture intensive. Conséquences de cette entreprise, pas moins de 400 000 personnes seront délocalisées et relogées.
Dans la continuité de ce projet, celui du « Canal Shuotian » appelé aussi la « Grande Route de l’Ouest ». Conçu par l’ingénieur chinois, Guo Kai, il prévoit de détourner les eaux du Brahmapoutre vers le Fleuve Jaune afin de résoudre définitivement la pénurie d’eau dans le nord de la Chine. Ce canal commencerait près de la ville de Tsetang dans le Tibet central. Un projet titanesque qui est encore en cours de validation par le gouvernement mais qui a cependant déjà reçut le soutien de 118 généraux et d’un grand nombre de membres de l’Assemblée Populaire Nationale chinoise et de la Conférence Consultative Politique du Peuple, ce qui témoigne de l’implication stratégique du régime. On notera au passage la publication en 2005 du livre de Li Ling, Save China Through Water From Tibet qui reçut un vif succès auprès des différents ministères chinois semble-t-il !
Si ces projets se réalisent dans leur totalité, les conséquences stratégiques et écologiques seraient désastreuses pour des millions de personnes voire des milliards. Suite à plusieurs barrages dans la province chinoise du Yunnan bloquant le cours du Mékong, qui abreuve 60 millions de personnes, la Birmanie, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande et le Vietnam ont fait part de leur inquiétude. Mais Pékin ne veut rien entendre et rétorque que la priorité est l’approvisionnement énergétique du pays et que la survie des fleuves n’est en aucun cas menacée. Plus directement vis-à-vis du Tibet, Pékin maintient une stratégie sournoise d’assimilation. Sous-couvert de déplacement de population pour la construction des différents barrages en terres tibétaines, le Tibet se voit envahir petit à petit par les chinois et le peuple tibétain, menacé de disparition.
source : Infoguerre
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