mercredi 1 juillet 2009

David Servan-Schreiber et la tempête dans un verre d’eau

Comment, quand on n’a rien à dire, susciter l’intérêt des médias ? La recette est éprouvée. L’ingrédient de base est une grosse dose d’évidence bien pâteuse, que l’on aplatit encore fortement. Prenez quelques pincées de risque pour la santé de publics fragiles : bébés, femmes enceintes, malades. Rajoutez un zeste de risque : après tout, nous sommes bien dans la « société du risque » chère à Ulrich Beck, une société « iatrogène », qui se rend malade elle-même, une société polluée qui continue sans cesse à inventer des dispositifs de dépollution. Mélangez avec une lampée de suspicion et de théorie du complot (« on nous cache tout »). Faites flamber le tout avec quelques phrases choc. On obtient : « les malades du cancer ne doivent plus boire de l’eau du robinet ». Pour ne pas laisser le public trop angoissé, arroser d’un petit peu de sucre de solution miracle ; cela permet de passer pour un sauveur, quelqu’un qui sait les comportements à adopter. La mode est justement aux comportements responsables et écologiques. La presse à sensation adore, cela fera vendre du papier. Dans ces temps de crise, c’est si rare. L’éditeur adore : on parlera du livre. Et puis le polémiste est heureux : à moindre frais, il se donne l’image de défendre le faible. Mais le succès n’est assuré que si la thèse est à contretemps de ce que pensent les spécialistes : choqués, ceux-ci chercheront à montrer en vain les erreurs, et il sera facile d’attirer les rieurs et les suspicieux de son côté. On peut donner d’ailleurs quelques concessions aux spécialistes pour avoir l’air modéré dans les débats télé.
C’est ce genre de recette que vient de nous servir David Servan-Schreiber et WWF-France.
De quoi s’agit-il ?
Le site du WWF- France nous propose un condensé du communiqué de presse.
L’évidence bien plate : Boire une eau de mauvaise qualité n’est pas bon pour la santé. Or, l’eau est de moins bonne qualité quand les municipalités ont insuffisamment investi ou renoncé à utiliser les dernières technologies de traitement et de filtrage.
Le public fragile : « les personnes malades du cancer ou qui sont passées par la maladie doivent bénéficier d’une eau potable de qualité irréprochable au nom du principe de précaution. De nombreuses études établissent des liens entre cancer et polluants de l’eau. »
Le zeste de risque : « En France, la qualité de l’eau varie selon les régions et selon les périodes de l’année, en raison de l’activité agricole. De fait, des personnes fragilisées peuvent être exposées sans le savoir à des taux de nitrates et de pesticides supérieurs aux normes. De plus, les normes de qualité n’ont pas évolué malgré les nouvelles connaissances sur des polluants à effet hormonal (certains pesticides, certaines hormones, le bisphénol A...) ou sur la présence de dérivés médicamenteux. »
Le sucre de la solution magique : « Il convient donc de prendre des précautions. Nous conseillons aux personnes malades du cancer ou qui sont passées par la maladie de ne boire quotidiennement de l’eau du robinet que si elles sont sûres de sa qualité, et sinon de s’équiper d’un filtre de qualité ou de boire de l’eau en bouteille. Ce sont des solutions de court terme qui demandent à être appliquées de façon précise : il faut respecter le mode d’emploi pour les filtres et recycler les bouteilles. »
La concession à l’égard des experts : « L’eau du robinet est en général de bonne qualité en France si l’on prend comme critères d’évaluation les normes réglementaires. » Globalement, les normes françaises permettent de proposer au consommateur une eau de qualité suffisante partout.
La controverse a pris ; il est probable qu’elle durera peu, car elle est de peu d’intérêt.
Le Journal de l’environnement en fait une bonne synthèse. Le ministère de la santé a rappelé que les contrôles réalisés étaient sérieux et que l’eau en France respecte très largement les normes européennes. Monique Chotard, du Centre d’information sur l’eau, a dit sur LCI : « Il n'est pas vrai de dire que l'eau du robinet n'est bonne que dans les grandes villes (...) On peut boire de l'eau partout, sauf si on vous dit de ne pas en boire. Cela arrive, il ne faut pas être angélique mais l'eau est bonne à 99,5% ». Les écologistes de France Nature Environnement rappellent que la solution miracle est extrêmement discutable : « Or si ces polluants sont en effet relevés dans l’eau du robinet, il est à noter que l’eau de source en bouteille est le plus souvent prélevée dans les mêmes nappes phréatiques, et peut elle aussi contenir un certain nombre de polluants. Deux études scientifiques de mars 2006 et de novembre 2008 soulèvent également la question de la migration du plastique de la bouteille vers l’eau, de substances nocives comme l’antimoine (un métal toxique retrouvé à des concentrations 95 à 165 fois plus élevées que dans l’eau du robinet) ou de perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, la composition précise de l’emballage alimentaire de l’eau en bouteille n’est pas connue du fait du secret industriel : ni les consommateurs, ni l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments qui autorise pourtant la mise sur le marché des produits, n’ont l’information requise pour une consommation en toute transparence. ». On retrouve aussi des militants hostiles à la marchandisation de l’eau par les sociétés d’eau en bouteille, comme l’ACME.
On a déjà longuement traité ici de cette polémique entre eau en bouteille et eau du robinet :
Bien entendu, l’eau du robinet peut ne pas être parfaite. On imagine bien que si les équipements sont insuffisants, il peut arriver que l’eau ne soit pas aux meilleurs standards. Mais il y a des contrôles réalisés régulièrement par le ministère de la santé et ils sont sérieux.
Bien entendu, l’eau en bouteille est soumise aux mêmes risques que l’eau du robinet. Les nappes phréatiques peuvent être tout autant contaminées pour l’eau en bouteille que pour l’eau du robinet. Le moyen de distribuer l’eau, la bouteille en plastique, peut la souiller. Les contrôles ne sont pas complètement transparents.
Bien entendu, les filtres à eau ne sont pas à la hauteur pour gérer les questions de résidus médicamenteux ou de micro-particules évoqués par David Servan-Schreiber. Si les remèdes étaient si simples et si peu coûteux, ils seraient mis en place.
Au final, le constat proposé par David Servan Schreiber est d’une banalité évidente : La qualité de l’eau est globalement bonne en France, mais cela dépend un peu des régions et des dispositifs mis en place pour la traiter. Il est aussi très probable que boire une eau de mauvaise qualité est dangereux.
La conséquence ? Les solutions proposées sont un peu courtes, comme on l’a vu. Il faut penser la question de l’eau de façon globale et pas seulement en spécialistes (en intégrant la question agricole et industrielle). Il faut continuer à faire de la recherche pour imaginer des solutions innovantes pour traiter l’eau prise dans le milieu tout autant que celle qui est rejetée. Il faut inventer des procédés pour détecter les impuretés notamment toute cette gamme de résidus médicamenteux (dont la nocivité resterait à évaluer par ailleurs) que l’on commence à savoir identifier. Il faut créer des bouteilles dans des matériaux mois nocifs.
Tous ceux qui connaissent un peu le sujet de l’eau sont à peu près d’accord sur ces quelques remarques de bon sens. Alors pourquoi cette polémique un peu inutile ?

5 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec vous : pas de solution idéale, mais des progrès à réaliser.
    J'aime bien notamment votre première piste de solution : repenser la question de l'eau de façon globale, en se concentrant sur une évolution de la production agricole, moins riche en pesticides, plus qualitative. Ce n'est pas gagné du tout, bien entendu, et cela ne répond pas à la question des résidus médicamenteux, mais c'est un projet ambitieux comme il faut.
    A voir comment la réforme de la PAC pourra nous permettre d'envisager un tel changement de paradigme.
    Cordialement,
    TP

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  2. Je vous trouve trop prudent sur la question de l'eau en bouteille. L'eau en bouteille est un SCANDALE ECOLOGIQUE, on ne le dira jamais assez !!! Je ne comprends toujours pas comment WWF a pu se laisser entraîner sur ce sujet.

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  3. @Thomas P.
    La question agricole est une question passionnante que nous aborderons d'ailleurs plus souvent dans le futur (c'est un de mes sujets de prédilection). La France propose une PAC remaniée qui fixe trois objectifs principaux à l'agriculture (voir le rapport Gaymard à l'Assemblée Nationale en 2008) : l'alimentation (la sécurité alimentaire sera un objectif en soi dans un monde à 9 milliards d'habitants au régime de plus en plus carné et soumis à un stress hydrique croissant), l'environnement (dont la question de l'eau) et le territoire (aménagement, cohésion sociale, maintien des territoires). Le tout va dans le bon sens, on verra ce qui sort des débats à venir.

    @greenwarrior
    Nous essayons de ne pas prendre excessivement partie dans les débats, car nous souhaitons avant tout être un relais des différentes opinions sur les questions de l'eau, sans préjugé (pour faire simple, disons que nous ne sommes pas tous d'accords sur tous les sujets entre nous !)
    D'ailleurs, en ce qui concerne WWF, chercher à faire parler de
    la qualité des eaux de rivières et des nappes phréatiques est un combat tout à fait honorable...
    Le papier cherche avant tout à se moquer d'une façon de communiquer excessivement anxiogène, il faut bien l'avouer, et à souligner le décalage entre l'angoisse générée et des solutions un peu trop simples.

    julia

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  4. Bonjour,
    Votre article commencant par : « Comment, quand on n’a rien à dire, susciter l’intérêt des médias ? » engage mal le débat sur la qualité de l’eau alimentaire ; question majeure de santé publique.
    Votre analyse, comme la plupart des commentaires sur le communiqué de D. Servan Schreiber et du WWWF, est manifestement trop simpliste et binaire en opposant la qualité de l’eau du réseau à celle des eaux embouteillées.
    Qu’en est-il ? Commençons par l’eau du réseau. De forums en blogs, on retrouve l’assertion classique que : « l’eau est l’aliment le plus surveillé » et que, partant nous pouvons boire de l’eau du robinet sans nous poser de question sur son impact sanitaire possible à terme.
    Quelques éléments objectifs et simples devraient cependant nous interpeller sur la sûreté des normes des EDCH (Eaux Destinées à la Consommation Humaine) qui incluent l’eau alimentaire. Celles-ci prennent en compte 31 substances sur 100.000 molécules de synthèse fabriquées par les industries en Europe et relarguées dans les milieux (air, eaux, sols) ! Ces limites de qualité ne prennent donc pas en compte : 1) la grande majorité des polluants retrouvés dans les eaux, notamment ceux dits émergents (résidus médicamenteux et hormonaux d’origine humaine ou animale, nanoproduits, additifs alimentaires…), 2) l’effet des faibles doses car les perturbateurs endocriniens (pesticides, médicaments…) existants dans les eaux brutes et domestiques correspondent à celles émises par nos propres hormones, 3) la synergie entre certains polluants qui est bien réelle mais si elle est faiblement documentée, hélas ! En d’autres termes, la réalité de la contamination de l’eau est globale (mélange complexe de polluants) et non analytique (pesticides/ métaux lourds/ hormones…).
    Juridiquement parlant, l’eau potable (normes EDCH) correspond à une eau qui ne doit pas nuire à la santé. Aucune étude toxicologique ne le démontre sur le long terme à cause du manque total d’évaluation scientifique interdisciplinaire et surtout indépendante de la qualité des eaux alimentaires dont l’eau du robinet.
    Par ailleurs comme le souligne, Claude Danglot (docteur en médecine et hydrologue) dans un commentaire sur le site du JDLE 25/06/2009 : « Les normes du Ministère de la Santé préconisent l'évaluation des polluants chimiques par des méthodes physico-chimiques qui ne mesurent pas la toxicité d'une eau mais évaluent les concentrations des polluants connus et identifiés et seulement les concentrations de ceux-là.».
    Ce scientifique poursuit son analyse : « Soyons clairs, l'eau embouteillée contient plein de produits nocifs pour la santé : phtalates, bisphénol A, bactéries banales résistantes aux antibiotiques... »
    Il n’existe certes pas de solution idéale en matière de consommation d’eau alimentaire. Soulignons au passage que l’essentiel du bilan écologico-économique négatif des eaux en bouteilles est leur forte empreinte carbone à cause du transport. Il est faux d’affirmer que parmi les diverses solutions de filtration de l’eau du réseau, aucune n’est efficace pour éliminer les nombreux polluants de l’eau du robinet. En effet, l’osmose inverse ou les filtres à charbon actif fritté ou compressé éliminent dans de très larges proportions, la totalité ou quasi-totalité, toutes les molécules indésirables de l’eau du robinet. Cependant, pour être cohérent (économiquement, écologiquement et sanitairement), un « bon polluant » est un polluant qui n’existe pas !!! Il faut donc garder toute notre vigilance sur la qualité des eaux brutes comme le font les associations environnementalistes tout en préconisant des systèmes efficaces de filtration de l’eau du réseau.

    Pour conclure, souhaitons que l’on puisse enfin évaluer en France, la qualité des eaux de boissons pour sortir des argumentaires théoriques et spéculatifs entre eaux du réseau et bouteilles sous tendus par des enjeux économiques considérables.

    Yann Olivaux (auteur du livre « La nature de l’eau » et conférencier. Contact courriel : lanaturedeleau@club-internet.fr )

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  5.  Bonjour à tous,
    Tous ces points de vue sont intéressants et permettent de se poser de nombreuses questions sur la qualité de notre eau. Pour ma part, je rejoins l’avis de Yann Olivaux au sujet de la sureté des normes. Comme vous le soulignez, de nombreux éléments ne sont pas pris en compte dans la mesure des normes établies et pourtant des traces d'antibiotiques, antidépresseurs, anticancéreux, et de nombreux autres médicaments sont retrouvées dans les cours d'eau. Nous savons que les stations d'épuration ne sont pas conçues pour les éliminer. C’est le cas pour les pesticides issus de l’agriculture industrielle que l’on retrouve dans nos cours d’eau. Le suivi annuel par l’IFEN de la pollution de la ressource en eau en France montre la présence de pesticides dans 90 % des prélèvements faits dans les eaux de surface, 58 % dans les eaux souterraines. De plus, il existe une inégalité de la « qualité » de l’eau du robinet, certaine régions, ne respectent pas les normes imposées. Dans un département comme le Gers, l’eau du robinet ne respecte pas, la plupart du temps, la norme de 0,1 µg/l. Par ailleurs des captages d’eau sont régulièrement abandonnés du fait de la pollution des ressources par les pesticides, et le coût de l’eau du robinet augmente constamment, notamment du fait des traitements très coûteux nécessaires pour éliminer les pesticides. La France doit faire des efforts au niveau de la réglementation et des normes imposées.

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