Voici un papier intéressant de l’Observateur de l’OCDE sur l’objectif du millénaire dédié à l’eau : cet objectif peut-il être atteint, et de quelle façon ? Bien que publié en 2006, cet article énonce des vérités que les 3 ans écoulées depuis sa parution ne rendent pas obsolètes.
En signant la Déclaration du millénaire des Nations unies, en 2000, les dirigeants de la planète se sont fixé des objectifs ambitieux de réduction de la pauvreté dans le monde, réitérés en 2002 au Sommet mondial sur le développement durable : les Objectifs du millénaire pour le développement. L’un d’entre eux est de « réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable et à des services d’assainissement de base ». Ce but se révèle plus difficile à atteindre que beaucoup le croyaient.
Depuis le sommet de 2000, une structure de l’ONU appelée Programme commun de surveillance (PCS), créée pour mesurer les progrès accomplis dans les différents domaines visés, essuie des critiques répétées au motif que les indicateurs qu’elle utilise donnent une fausse image des difficultés à surmonter. Curieusement, en effet, ils ne disent pas si l’eau à laquelle les gens ont accès est vraiment potable, ni si l’accès à cette eau est garanti à long terme.
Les esprits se sont le plus souvent focalisés sur l’accès stricto sensu, mais peut-être ont-ils négligé le suivi des OMD relatifs à l’eau et à l’assainissement dans les situations où les infrastructures existaient déjà mais se détérioraient. C’est problématique car, d’une part, cette dégradation se répercute sur la qualité de l’eau potable et, d’autre part, beaucoup de pays en développement disposent déjà d’infrastructures plus ou moins adaptées, notamment dans les grandes villes. Deux questions se posent : pourquoi la qualité de l’eau potable se détériore-t-elle et comment remédier au problème ?
Prenons l’exemple des pays de l’ex-Union soviétique. D’après le PCS, dans la région d’Europe orientale, du Caucase et d’Asie centrale (EOCAC), le pourcentage de la population qui a accès à des services de l’eau « améliorés » a augmenté depuis 1990, passant en 2008 à 93 % dans le cas de l’eau potable et à 70 % environ dans celui de l’assainissement. Le PCS en conclut que la région d’EOCAC est sur la bonne voie pour atteindre les objectifs internationaux relatifs à l’eau potable.
Toutefois, ces indicateurs brossent un tableau exagérément optimiste de la situation. Les grandes infrastructures urbaines construites sous l’ère soviétique mettent l’eau courante à la disposition d’une bonne partie de la population. Mais aujourd’hui, elles sont souvent en si mauvais état qu’elles n’assurent qu’à peu de gens un accès durable à une eau saine. En outre, les données recueillies par l’OCDE et d’autres organismes indiquent que la situation s’est sensiblement dégradée ces quinze dernières années.
Les fuites, la continuité du service et la qualité réelle de l’eau posent des problèmes. Les déperditions des réseaux de distribution sont importantes et témoignent du mauvais état des canalisations, et éventuellement de prélèvements illégaux. De même, la continuité du service est de moins en moins bien assurée. Et si les analyses pratiquées à l’entrée des réseaux ne révèlent que rarement un écart avec les normes sanitaires, l’eau est souvent contaminée sur son parcours ultérieur. Ce qui sort du robinet n’est pas toujours identique à ce qui pénètre dans le réseau.
S’il existe un décalage entre les statistiques officielles de l’ONU et d’autres données disponibles sur la région d’EOCAC et ailleurs, c’est principalement parce que les premières indiquent uniquement si les habitants ont un accès à un approvisionnement « amélioré », et non pas si l’eau distribuée est véritablement saine. Elles ne disent pas non plus si l’accès est durable. Par approvisionnement « amélioré », on entend les robinets domestiques, les bornes-fontaines, les puits protégés, etc.
La situation illustrée par les pays d’EOCAC a de graves retombées sur la santé publique. Ainsi, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 13 000 enfants de moins de 14 ans meurent chaque année dans la zone de la Commission économique pour l’Europe, essentiellement dans les pays d’EOCAC, à cause de la mauvaise qualité de l’eau. Faute de nouvelles approches plus adaptées, cette problématique a de fortes chances de se manifester dans beaucoup d’autres régions du monde.
Que pouvons-nous faire ? Pour commencer, il est de toute évidence nécessaire de concevoir rapidement des indicateurs complémentaires pour renforcer l’action publique, par exemple sur les fuites des réseaux et sur la qualité de l’eau à la sortie du robinet. Ils viendraient s’ajouter aux données officielles sur les OMD relatifs à l’accès à l’eau et à l’assainissement. Réunir ces données exigerait bien entendu des ressources financières supplémentaires, d’autant que, généralement, les pays en développement ne disposent pas de chiffres exploitables sur ces questions. Mais sans ces informations, les objectifs fixés dans le domaine de l’eau potable seront beaucoup plus difficiles à atteindre.
Du point de vue financier, il est bien plus difficile encore de trouver une solution pour empêcher la détérioration des infrastructures existantes. Dans le cas des pays d’EOCAC, entre 50 et 90 % des ressources des compagnies des eaux sont payées par les consommateurs, et le reste provient essentiellement des budgets publics. Mais ces ressources ne permettent même pas de financer la totalité des coûts d’exploitation, et encore moins les frais d’entretien et les investissements. D’autant que dans de nombreux cas, des mises de fonds importantes sont nécessaires au départ pour accroître l’efficacité de fonctionnement.
Améliorer le recouvrement des redevances contribuerait à augmenter les ressources financières disponibles. Dans les pays d’EOCAC, les recettes effectivement perçues ne représentent parfois que 30 à 40 % du total facturé. Les impayés sont donc une autre forme de déperdition à laquelle il faudrait remédier.
Parallèlement, les tarifs de l’eau appliqués aux ménages sont souvent trop bas et devront être majorés, parfois sensiblement. Heureusement, ces augmentations ne devraient que rarement remettre en cause la capacité des consommateurs à payer ce service. Dans certains cas, toutefois, notamment dans les zones où la pauvreté est très répandue, la hausse des prix devra être accompagnée d’une amélioration de la qualité des prestations pour que les ménages restent disposés à payer, mais aussi de mesures sociales visant à aider les démunis, par exemple sous forme d’allocations directes.
Toutefois, même si toutes les factures étaient payées et les prix majorés, cela ne suffirait pas encore pour éviter d’avoir à augmenter les dépenses publiques dans le secteur de l’eau. Dans certains pays, il faudrait consacrer 3 à 4 % des budgets publics au seul secteur de l’eau en zone urbaine. Compte tenu des besoins dans les autres domaines sociaux et économiques, ce sera bien souvent difficile. Dans les cas extrêmes, les dirigeants pourraient avoir à choisir entre fournir une meilleure eau à certains ou une eau médiocre à tous.
En Géorgie, ancienne république soviétique où 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 17 % dans l’extrême pauvreté, les OMD relatifs à l’eau ne pourraient être atteints qu’à la condition d’élaguer les infrastructures urbaines existantes. Cela signifie que certains habitants pourraient avoir accès à une eau plus saine à la fontaine publique plutôt qu’à leur robinet.
Sauf dans quelques pays très pauvres, ce sont les sources de financement nationales qui prédomineront. L’aide publique au développement pour les pays d’EOCAC est actuellement de 100 millions de dollars US par an. Même si elle augmentait sensiblement, elle ne représenterait toujours qu’une petite partie des 8 milliards nécessaires au financement global de l’exploitation, de l’entretien et des investissements. D’un autre côté, il faut veiller à ne pas surcharger les sources nationales de financement, comme cela est arrivé dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne. En général, les opérateurs privés sont disposés à s’impliquer dans le secteur de l’eau et de l’assainissement en apportant leur savoir-faire, dans le cadre de régies intéressées ou en gérance, mais ils sont réticents à assumer les investissements nécessaires.
Pourtant, les financements externes, mêmes faibles, peuvent favoriser des réformes du financement ou de la gestion dans le secteur de l’eau et renforcer les capacités et l’application des règles et bonnes pratiques internationales. Les structures internationales, par exemple le Groupe d’étude du Programme d’action environnemental créé en 1993 pour les pays d’EOCAC par les ministres de l’Environnement d’un groupe de l’ONU, la Commission économique pour l’Europe, peuvent aussi accroître leurs efforts. L’action entreprise dans ce cadre, et soutenue par l’OCDE, comprend le développement d’outils et d’approches pratiques pour soutenir les réformes juridiques et institutionnelles, ainsi qu’une assistance pour améliorer la situation financière du secteur de l’eau.
Avec l’appui des acteurs impliqués et le bon angle d’attaque, il y a beaucoup à faire pour atteindre l’objectif de développement qui compte vraiment – celui d’une qualité et d’une distribution durable d’une eau saine.
Encore moi, il semble que Jeffrey Sachs -dont vous vous faite l'écho - partage mon propos sur le problème de la gouvernance ...
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